En janvier 1960, Serge Mignard a 25 ans quand il revient à Bellot après 21 mois passés au Soudan français (le Mali actuel). Il met à profit ses connaissances acquises à l’école de brasserie de Nancy et crée un laboratoire d’analyse afin de mieux suivre la production, l’évolution et la conservation du cidre et du jus de pommes. Il met au point le filtre à Kieselguhr et jugule sur plusieurs cuves un début de maladie appelée « le framboisé ».
Pendant 5 ans, Ariel et Serge collaborent et le défi pour la cidrerie consiste à apporter à tous les clients la même qualité toute l’année (densité, acidité, amertume et qualité gustative). Serge s’occupe plus particulièrement de la partie technique, notamment la mise au point de production, la cave, les analyses et l’assemblage des cidres provenant des différentes cuves. Auprès de Serge, le chef de cave Pierre Laplaige élabore les coupages en mélangeant un certain volume provenant de plusieurs cuves et ce en fonction des analyses réalisées par Sergine Malta (puis par Martine Boyer et François Perchat) dans la respect d’un cahier des charges spécifique à la cidrerie.
Ariel n’hésite pas à solliciter son fils pour d’autres tâches, comme le nettoyage des cuves, les livraisons ou le chargement des camions (qui s’effectuent à l’époque manuellement).
Les Coopérateurs de Champagne étaient notre plus important et meilleur client de la cidrerie. Lorsqu’on allait les livrer, les chauffeurs (Riton, Toto Mercier ou le pauvre René Bourguignon décédé tragiquement au retour d’une livraison) ou moi-même étions invités par le chef de cave Monsieur Mottet dans son laboratoire pour déguster une coupe d’un excellent champagne (Trouillard). Il n’y a pas de doute, ils savaient recevoir, et les alcotest n’existaient pas encore à cette époque !
Un samedi matin, Ariel m’a envoyé livrer avec le camion essence Citroën P55 l’entrepôt des coopérateurs de Champagne à Sens (il y en avait également un à Troyes qui est devenu un magasin d’usine !). L’après-midi même, je devais suivre un cours de préparation militaire supérieure à Coulommiers. Une fois sur place, j’ai déchargé les caisses de cidre (en bois) et le client m’a demandé de reprendre des emballages vides (caisses de bouteilles), en plus grande quantité qu’à l’aller. Je suis reparti sans me rendre compte que la hauteur du chargement est supérieure au retour qu’à l’aller. Voulant gagner du temps, j’ai opté pour un raccourci sous un mini-tunnel au lieu du passage à niveau … et le camion s’est retrouvé bloqué sous le tunnel, la bâche arrachée, des caisses et verres cassés sur la voie. Impossible d’avancer ou de reculer. Quelqu’un lui m’a alors dit en passant : « Dégonfle donc tes pneus ! ». Le camion pouvait enfin passer. Après avoir mis dans la cabine le matériel cassé et replacé comme j’ai pu la bâche arrachée, je suis rentré à Bellot tout en m’arrêtant régulièrement pour vérifier le chargement. Ariel m’attendait inquiet et m’a servi un accueil détonnant. Je repartis aussitôt pour Coulommiers sans demander mon reste. – SM
Développement commercial
Ariel avait engagé des agents multicarte qui grâce à leurs portefeuilles de vins champagnes ou spiritueux étaient bien introduits chez les grossistes ou succursalistes (comme à Reims, berceau des maisons à succursales). Pour les visites de clients, les prospections et les prises de commande, Ariel se charge lui-même des plus importants, comme les Coopérateurs de Champagne ou l’Union Commerciale.
En marge de la cidrerie
Les vergers sont productifs mais l’herbe peut aussi être exploitée ! Comme son père, Ariel exerce un négoce de vaches afin de les mettre à « l’embouche » : il les achète jeunes, les fait paître dans ses prés-vergers et les revend en l’automne. C’est aussi l’occasion pour lui d’aller en Normandie, l’autre pays du cidre.
Un jour, un agriculteur a demandé à Ariel de lui louer une de ses parcelles pour ses vaches. Ne voulant être prisonnier d’un bail, il lui a répondu qu’il ne lui louerait pas la parcelle, mais était d’accord pour lui vendre l’herbe ! Une méthode créative pour façon de contourner les contraintes du droit rural ! – SM
Nous pesions les vaches sur le pont bascule habituellement réservé aux pommes Je tenais un cahier avec le nom des vaches, leur poids à l’achat et à la revente. Ce n’était pas pour Ariel une activité anecdotique. – Thérèse Pailla.
Passionné de chasse, Ariel s’y adonne de plus en plus. Il participe régulièrement aux réunions syndicales professionnelles, laissant de plus en plus à son fils les missions d’élaboration des produits et du conditionnement. Ce n’était pas pour déplaire à Serge qui n’aimait pas trop voir son père « tourner » dans l’usine et donner quelquefois des contre-ordres.
Les apports d’Ariel à la commune
Pour palier au manque de main d’œuvre, la cidrerie embauche des ouvriers italiens ou portugais. Ariel fait construire des maisons (Bellot route de Rebais, Fourcheret) ou en fait l’acquisition à Bellot (place de l’église près du bar restaurant, cour des forêts), au Petit Fourcheret et à Verdelot. Par la suite, Serge facilitera l’accès à la propriété des locataires en plaidant leur cause auprès de son père, puis grâce au 1% patronal.
Ariel pratique le sport avec passion (gymnastique à l’Amicale Sportive, football à l’Etoile Sportive de Bellot). Lors de son service militaire en Allemagne dans les années 20, il remarque que cette nation dispose de nombreux stades et piscines et revient avec la conviction de la nécessité d’équipements sportifs pour Bellot. Son grand projet est la construction d’une piscine de plein air qui a pu se réaliser en 1942 à force de ténacité. Entièrement réhabilitée et administrée par la Communauté de Communes des 2 Morin, la piscine Ariel Mignard est aujourd’hui considérée comme la plus attractive de la région et accueille aujourd’hui 20 à 30.000 visiteurs par an.
Dans la scène de joute, on peut observer François Bouté, propriétaire du moulin des brus, Marc Millard de Retourneloup et moi-même avec mon bonnet bicolore. – SM
Dans les années 60, Ariel fait l’acquisition d’un terrain au Fourcheret et le met gracieusement à disposition de l’Union Sportive du Petit Morin pour y aménager un stade de football. Il sera par la suite doté d’une infrastructure digne d’un vrai stade, avec tribunes, vestiaires et douches (d’abord froides). Grâce à cet équipement, des équipes de jeunes (minimes et cadets) voient le jour.
La maladie
Avec le temps, Ariel devient dépressif et craint que la cidrerie ne tombe en faillite. Dans la nuit du 24 au 25 janvier 1965, alors qu’il s’apprête à se rendre en Normandie avec Raymond Frutel pour acheter des vaches, il subit une congestion cérébrale qui l’handicape physiquement et le contraint à cesser la quasi-totalité de son activité. Du jour au lendemain, la direction de la cidrerie est reprise par Serge. Ariel reste néanmoins Président de la société jusqu’à la cession à Joker en 1972. Il demeure en situation de quasi invalidité pendant 30 ans à son domicile, dans la grande maison face à la cidrerie, et s’éteint le 13 novembre 1995.